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  PTSI - Lycée
Raoul Follereau,
Belfort
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  Systèmes d'unités

Rubriques :

Introduction |

I - Comment définir des unités ? |

II - Les motivations des redéfinitions : exemple historique du mètre |← vous êtes ici

III - Liens entre définition et mise en pratique d'une unité |

IV - Exemple d'une redéfinition moderne : le kilogramme |

V - Une définition plus concrète du nouveau kilogramme |

Biblio et webographie |




II - L'exemple du mètre : qu'est-ce qui motive la redéfinition d'une unité ?

L'objectif de cette sous-partie est de se demander ce qui motive la redéfinition d'une unité. Nous y répondrons à travers un exposé concis de l'histoire du mètre, qui est emblématique de l'évolution d'une unité, avec des étapes qui se retrouvent pour la seconde, le kilogramme, etc.

 

2.a - Avant la révolution française, multiplicité et confusion.

De multiples définitions existent : pieds, coudées... Pire, un même nom n'a pas la même signification d'une ville à l'autre ! Les multiples ou sous-multiples ne forment pas un système décimal (pas de multiplication par 10 pour passer de l'un à l'autre). Et les unité de volume ou de surface ne sont pas basées sur celles de longueur.

 

2.b - 1791, le méridien terrestre et la longueur d'une barre.

1791, le méridien terrestre

En 1791, et après quelques hésitations avec une alternative qui définirait le mètre par la longueur d'un pendule de demi-période une seconde, il est décidé par l'Assemblée qu'un mètre sera par définition la longueur du quart du méridien terrestre passant par Paris divisée par dix millions. Les révolutionnaires aspirent à l'universalité et dédient le nouveau mètre "à tous les peuples, à tous les temps". Cependant, il faut d'abord mesurer ce méridien pour savoir ce qu'est un mètre ! Il faudra plus de sept années de péripéties et de triangulations aux deux astronomes Delambre et Méchain pour mesurer une portion de méridien entre Dunkerque et Barcelone, en pleine période de révolution, afin d'en déduire la longueur du méridien. Laplace, Lavoisier, Lagrange ou encore Borda sont les maîtres d'œuvre de cette réforme. En 1799, une barre en platine est fabriquée à partir de ces mesures : il s'agira du mètre officiel, dit mètre des Archives. Cette barre est en fait une réalisation du mètre, c'est-à-dire une mesure du mètre tel que donné par la définition à partir de la longueur du méridien. Comme toute réalisation elle est accompagnée d'une incertitude, même si cela n'était pas systématisé à l'époque (nous savons maintenant que ce mètre était trop court de $0.2\,\mathrm{mm}$ par rapport à sa définition). Dans le même temps, le système décimal des multiples et sous-multiples est proclamé, et les surfaces et volumes peuvent être mesurés en $\mathrm{m^2}$ et $\mathrm{m^3}$. Cette réforme tranche avec la confusion passée, mais elle mettra des décennies à s'imposer.

 

1889, une barre de platine irridié

Entre 1878 et 1889 on fabrique des copies du mètre des Archives les plus précises possible, cette fois en platine iridié (trente en tout). On sélectionne l'une d'entre elle comme étalon de référence. On change donc la définition du mètre : un mètre devient la longueur de l'étalon de platine iridié de référence. Plus de méridien donc, on passe à un étalon purement matériel fabriqué par l'homme.

Dès 1880 l'interférométrie optique se développe, et jusqu'en 1936 ceci permet de faire des mesures de précision des copies du mètre par rapport à l'étalon d'origine ou entre elles. On utilise les interféromètres de Michelson, et de Fabry et Pérot.

 

Introduction d'une autre unité, l'Angström, et notion de facteur de conversion

La spectroscopie (l'étude des raies atomiques) se développe. Il n'est pas pratique de mesurer des longueurs d'onde de l'ordre de la centaines de nanomètres en terme de la longueur d'une barre de platine... Aussi les physiciens définissent une unité distincte du mètre : l'Angström est défini par Michelson tel que la longueur d'onde rouge du cadmium vaut exactement $\lambda_\text{Cd} = 6438.47\,\mathrm{\mathring{A}^*}$. On note ici le symbole Angström avec une étoile pour ne pas le confondre avec l'Angström actuel, qui est définit comme $10^{-10}\,\text{m}$ exactement. Dans le domaine de la spectroscopie l'étalon devient donc en pratique l'Angström (donc en fait $\lambda_\text{Cd}$), car il est beaucoup plus précis d'exprimer une longueur d'onde en fonction d'une autre par méthode interférométrique, plutôt que par rapport à la longueur d'une barre de métal !

Mais comment repasser alors en mètres, pour exprimer une longueur d'onde en mètre ? Il faut mesurer expérimentalement la barre de platine en terme de $\lambda_\text{Cd}$, c'est-à-dire en Angström. Il y a donc un facteur de conversion pour passer du système d'unités Angström au système d'unités métrique. Notons le $x$ : $1\,m = x\,\mathrm{\mathring{A}^*}$. On avait alors $x \simeq 10^{10}$ (la valeur 6438.47 est choisie pour), mais pas exactement et évidemment avec une incertitude due à la mesure de la longueur de la barre étalon en terme de $\lambda_\text{Cd}$.

Nous verrons juste après que la prochaine définition du mètre sera en terme d'un multiple d'une longueur d'onde, ce qui permettra d'abandonner l'ancienne définition de l'Angström, puisque le nouveau mètre est directement un certain nombre de fois une longueur d'onde. On définira alors l'Angström comme exactement $10^{-10}$ mètres, simplement car ceci est pratique.

Il est intéressant de noter que la même chose se produit actuellement avec les unités électroniques 1990 (existence d'un système d'unités "parallèle" dans lequel les constantes de Josephson $K_J = 2e/h$ et de von Klitzing $R_K = h/e^2$ ont une valeur numérique conventionnelle fixée, car ceci permet des mesures électroniques précises) et la fixation de la constante de Planck $h$ et de la charge électrique $e$ en 2018 qui rendra ce système caduque, nous en reparlerons.

Un historique précis est disponible sur le site du BIPM, ou sur Wikipédia. Nous nous concentrons uniquement sur certaines étapes importantes ici.

 

Chaîne de triangulations effectuées par Delambre et Méchain du nord au sud de la France. Ken Alder relate avec précision et suspense cette odyssée dans The Measure of all things, et en particulier le fait que la mesure était légèrement erronée...



 

Le prototype 27 en platine iridié. Il n'est pas celui qui servira de référence internationale, mais il est calibré par rapport à la barre de référence puis envoyé aux États-Unis en 1890, où il servira d'étalon de base pour les mesures de longueurs de tout le pays. Sa longueur par rapport au prototype de référence est connue à $\pm0.2\,\mathrm{\mu m}$, soit une incertitude relative de $10^{-7}$, et la barre n'a montré aucune tendance à se déformer en 80 ans (cf Uzan&Lehoucq, extrait 8). Notons que sa longueur a été étudiée en fonction de la température, ce qui a nécessité la construction d'une échelle précise de température. (Source : Wikipédia, voir légende sur le lien pour détails.)

 

2.c - 1960, la longueur d'onde du krypton.

En 1960, il est décidé de donner une nouvelle définition du mètre : il s'agira de $k$ fois la longueur d'onde dans le vide d'une transition du krypton. Il aura fallu des années de perfectionnement des techniques $-$ il faut des sources assez lumineuses et cohérentes $-$ avant de fixer cette définition. Ceci permet alors une précision accrue dans les mesures de physique atomique.

Mais au delà de la précision, il est important de souligner que l'étalon correspondant au mètre change de nature. Avant, il s'agissait d'un objet fabriqué par l'homme, une barre d'un certain métal entreposée quelque part, dont il fallait faire tant bien que mal des copies les plus précises possibles, les conserver, les acheminer à travers le monde, etc. Avec la nouvelle définition, l'étalon est défini par une propriété atomique, de la matière : la longueur d'onde d'une lumière émise par un certain atome, disponible partout et identique en tout lieu et tout temps. L'idéal révolutionnaire est enfin atteint.

 

2.d - 1983, la vitesse de la lumière.

En 1983, une nouvelle définition est adoptée : un mètre est "la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458 de seconde". Cette nouvelle définition est encore basée sur un phénomène naturel partout reproductible : cette fois il ne s'agit plus de la longueur d'onde d'une radiation, mais de la vitesse de propagation de la lumière.

Par rapport au choix de $\lambda_\text{Kr}$ comme étalon, cette nouvelle convention est remarquable à plusieurs points de vus :

  • Tout d'abord, cette définition du mètre, unité de longueur, fait explicitement appel à une autre unité : celle du temps, la seconde. Il faut donc que la seconde soit définie par ailleurs, indépendamment du mètre. C'est bien le cas, puisque depuis 1967 une seconde est "la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133".

    On s'assure de l'indépendance des définitions comme expliqué dans le I.1 : deux valeurs numériques sont fixées afin de définir deux unités, c'est donc correct.

  • Ensuite, $c$ n'est pas n'importe quelle constante. Bien sûr, il est possible de choisir une autre vitesse pour définir le mètre (vitesse moyenne de révolution de la Terre autour du Soleil, vitesse du son à telle température, etc.). Mais $c$ a un statut particulier. La longueur d'onde $\lambda$ de radiation d'un atome peut être prédite par la théorie de la mécanique quantique. Aucune théorie à l'heure actuelle ne peut prédire la valeur de la vitesse de la lumière dans le vide. De plus, $c$ est une constante centrale dans les théories les plus fondamentales dont nous disposons. Dans la définition actuelle du SI, $c$ est associée à la propagation de la lumière dans le vide, mais il s'agit en fait d'un cas particulier : toute particule de masse nulle se propage à la vitesse $c$ ; dans la théorie de la relativité restreinte, il s'agit de la vitesse limite de propagation de l'énergie et de l'information, et il en est de même localement dans la théorie de la relativité générale. Il s'agit donc d'une constante dont la valeur structure l'espace-temps de l'univers tel que nous le décrivons. $c$ est une constante fondamentale de nos théories actuelles, au sens le plus fort du terme (voir figure ci-contre et références associées). En cela, choisir de fixer $c$ dans le système d'unités du SI n'est pas un choix anodin.

Évidemment, l'élégance du choix ne suffit en rien à le justifier. Il faut également qu'il ait un intérêt pratique : qu'il permette une précision accrue des mesures via des réalisations du mètre plus précises, que ces réalisations soient technologiquement réalisables, en bref qu'il simplifie le travail de la métrologie. C'est bien le cas, en grande partie grâce au développement des lasers et des horloges atomiques. Cette définition du mètre a l'immense avantage de permettre des réalisations précises à des échelles très différentes : à grande échelle par mesure de temps de vol (télémétrie laser, mesure de la distance Terre-Lune, système GPS), à petite échelle par interférométrie optique. Voir l'annexe pour des exemples.

Remarquons pour finir que deux autres constantes ont le même statut que $c$ : la constante de Planck $h$ et la constante de gravitation $G$. Il faudra attendre 2018 pour faire de même avec $h$ en fixant sa valeur numérique à cause de contraintes technologiques, et nous sommes loin de pouvoir faire de même pour $G$.

Le "cube des théories" d'après Gamow, Ivanenko et Landau (Uzan et Lehoucq, p.36). Il met en évidence le fait que trois constantes ont un statut particulièrement fondamental dans l'édifice théorique actuel : $G$, $h$ et $c$. Chaque coin représente une théorie, qui prend en compte ou non la valeur réelle de la constante. Par exemple la mécanique quantique prend en compte $h$, mais ne considère ni les effets relativistes ($c$ est infinie) ni les effets de la géométrie de l'espace ($G$ est nulle). Les théories en rouges sont celles qui ne sont pas encore établies.

 

2.e - Conclusion

En conclusion de cette partie sur le mètre, nous pouvons dire que la définition de cette unité est passée par tous les stades les plus remarquables, que l'on retrouve dans l'évolution d'autres unités : confusion générale avec existence d'une multitude d'étalons locaux, définition astronomique basée sur la figure de la Terre et aspirant à l'universalité, définition par un étalon physique fabriqué et unique, définition via une propriété atomique de la matière, définition en fixant une des constantes fondamentales de l'édifice physique du moment.

 

Citons pour finir quelques propriétés que doit vérifier une "bonne" définition d'unité :

  • Doit être basée sur une grandeur physique qui ne varie pas. Ainsi prendre la durée du jour comme étalon n'était pas une bonne idée, puisque celle-ci varie au cours des années.

  • Doit être basé sur une grandeur physique accessible partout et tout le temps.

    Ceci afin d'être mise en œuvre indépendamment par différents laboratoires. C'est le cas des propriétés atomiques de la matière ou de constantes telles que $c$ ou $h$, mais ce n'est pas le cas du PIK.

  • Doit permettre des réalisations pratiques les plus précises possibles, avec des perspectives d'amélioration, et à des échelles différentes.

    Définir le mètre via une longueur d'onde est adapté aux mesures microscopiques, mais moins à grande échelle, alors que la définition via la vitesse de la lumière permet des mises en pratique à des échelles très diverses : microscopique par des longueurs d'onde, macroscopique par temps de vol. Il en est de même avec la définition du PIK via $h$.




Annexe : précisions relatives permises par les différentes réalisations


DéfinitionIncertitude relative permiseExplications
Longueur du méridien $2\times10^{-4}$ C'est l'erreur relative sur la réalisation en platine par rapport à la définition
Barre de platine iridié $10^{-7}$ Permet des comparaisons à l'échelle du mètre avec une incertitude relative de $10^{-7}$ (Uzan&Lehoucq, extrait 8).
Définition via $\lambda_\text{Kr}$ $10^{-8}$ Par exemple $c$ a été mesurée avec une incertitude relative de $10^{-8}$ en 1983 avant la définition du mètre basée sur $c$ (thèse M. Thomas).
Vitesse de la lumière $c$ $10^{-10}$ à $10^{-15}$ Deux exemples à deux échelles :
  • Mesure par temps de vol. Mesurer une distance revient alors à mesurer un temps, ce que nous savons très bien faire grâce aux horloges atomiques. C'est ce qui permet le GPS. Autre exemple : distance Terre-Lune, incertitude relative de $10^{-11}$ à $10^{-10}$ (soit à $4\,\text{mm}$ ou $4\,\text{cm}$ près !) (Cf culture-sciences-ens-Lyon, ou C. Simon dans le BUP 1003).

  • Aux petites échelles, les mesures se font par interférométrie. Il faut alors connaître la longueur d'onde de certaines radiation. Certaines sont mesurées avec une incertitude relative de $10^{-15}$ (cf BIPM).



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